Daniel Sotiaux

Version soft

Le nouveau travail de Hicham Benohoud, intitulé “Version soft”, probablement par dérision est, sans doute, le plus dur et le plus déroutant.

Pour la première fois, Hicham Benohoud, dans la partie biographique de son travail (il réalise aussi des installations purement géométriques) se montre. Jadis caché derrière l’appareil photo (cf. la série de clichés faite avec ses élèves et intitulée “La salle de classe” ou encore manipulant ses photographies avec acides et autres substances destructrices jusqu’à rendre les visages méconnaissables, Hicham Benohoud a franchi le Rubicon en se mettant en scène lui-même et en assumant complètement sa représentativité.

Le résultat est une série d’autoportraits à peu près tous conçus sur la base du même mode opératoire : torse nu, le visage droit et le regard fixe avec pour chacun de ses clichés, une intervention perturbante : une pierre sur le crâne, des papiers collés, le visage sanglé, le visage enfermé.

L’ambiance qui se dégage rappelle encore une fois celle de “La salle de classe” où des élèves jouaient des séquences immobiles où divers objets et interventions interagissaient avec les corps et le visages des enfants. Se dégageaient de ces poses une atmosphère faite d’incommunicabilité et de froide violence.

Ici, le matériau se restreint. La scène se resserre sur le seul visage de l’artiste. Le côté ludique de la salle a disparu comme a aussi disparu l’environnement témoin, ses enfants qui, dans la salle de classe, ils poursuivent leurs travaux scolaires dans l’indifférence de la scène qui se déroule pourtant sous leurs yeux. Le choc est donc frontal, brutal, et sans complicité. D’ailleurs, le regard d’une fixité inquiétante, ne fixe rien si ce n’est ce photographe. On est donc dans l’en dedans des choses, ce qui permet à la mise en scène d’aller de plus en plus loin jusqu’à ces dernières photos où le visage finit par disparaître complètement.

Jamais donc nous a été donné à voir de si près les troubles et les interrogations d’un artiste qui se livre sans témoin et donc sans pudeur.

Dès lors, tout est symbole. La pierre deviendrait le poids du monde, le poids social, le système social des conventions. Mais elle est aussi recherche d’équilibre. La synthèse serait donc possible : l’homme pourrait malgré ses enfermements se créer un univers d’une certaine harmonie.

Le visage de Hicham Benohoud a gommé ses repères, mais est-ce à dire qu’à l’instar de la jeunesse marocaine, il n’en cherche pas? Sa force est d’exprimer ses craintes, de les mettre à vif comme autant de plaies non encore cicatrisées.

Alignées, ses portraits nous conduisent, comme les musiques répétitives, vers d’autres connaissances.

Hicham Benohoud met en scène ses cicatrices intérieures pour mieux nous aider à sauter le pas

L’objectif est de déterminer s’il sera possible un jour de forcer le passage, de dépasser les inquiétudes, de construire un monde ouvert où les frontières internes seraient abolies.

 

Daniel Sotiaux

Membre de l’AICA (Association, Internationale des Critiques d’Art).

Catalogue de l’exposition Version soft aux Éditions du Musée de Marrakech, 2003

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