Estève Julie

Un enfant, tête droite, nous regarde. Fixement. Au dessus de son corps flotte un rameau d’épines. Une petite fille se tient, debout, bras croisés, sur une chaise roulante, le visage caché par une vieille bouteille d’eau vide. Les lèvres tordues par un fil de nylon, deux gamins sont forcés de sourire, inéluctablement, tout comme cet homme qui serre les dents, tenaillé par un cri froid, silencieux. Un autre, impassible, reçoit, en plein nez, un tuyau de fer rouillé… Réalisées en 2007 à Azemmour et à Kinshasa lors de résidences d’artistes, ces deux séries photographiques de Hicham Benohoud, l’une en noir et blanc, l’autre en couleur, prennent le pouls d’une réalité sociale congestionnée par les violences, la pauvreté, les oppressions.

 

« Dans mon travail artistique, je n’oriente pas le public et le laisse libre de toute forme d’interprétation, précise l’artiste. Même quand je parle d’Azemmour ou de Kinshasa, on ne voit pas la ville, toutes les scènes se déroulent dans un terrain vague ou dans des endroits qui ne sont pas reconnaissables. Voilà pour l’arrière-plan. Pour ce qui est des modèles, les postures et les regards restent neutres. Ils n’expriment rien, à l’image des photos d’identité où l’on doit ne manifester aucune expression. C’est de cette uniformisation des esprits que je parle dans mon travail. Ce sont les éléments que j’introduis dans la mise en scène qui viennent déformer, écraser, les corps et les âmes. Et c’est justement là où peut intervenir la dimension politique, sociale ou religieuse. »

 

Avec des bouts de ficelle, des bouts de rien, il bricole des mondes mentaux, intérieurs, presque surréalistes et anime les souffrances anonymes, les blessures voilées, les commotions aveugles. « La soumission politique est inscrite dans les postures, dans les plis du corps et les automatismes du cerveau, disait le sociologue français Pierre Bourdieu. Le vocabulaire de la domination est plein de métaphores corporelles : faire des courbettes, se mettre à plat ventre, se montrer souple, plier… » Les images de Hicham photographient les sacrifices, les entraves et les cicatrices invisibles. Les visages, les corps cabossés, encombrés, chahutés, s’inclinent dans la passivité, sans aucun signe, aucune forme de résistance. Ils figurent la douleur, exposent l’asservissement aux pressions en tout genre. Ils disent le silence, les tourments, et surtout la violence de l’indifférence.

 

 

JULIE ESTÈVE , le 8 Janvier 2010

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