HICHAM BENOHOUD L’ATTENTAT DU TEMOIN MUET

Réponse à tout, langue de bois coup de massue, le poids des mots gravés dans le marbre absolu, dans les mystiques livres ancestraux interprétés, conditionne le quotidien et trace l’indiscutable avenir.

Prison collective aux chants envoûtants, conformismes impératifs aux tenues de rigueur, rites aux diktats unificateurs, les paroles officielles de guides autoproclamés, de grands clercs installés et autres prédicateurs invétérés, s’écoutent et restent.

Les cris s’envolent dans les déserts d’infinis, étranglés, perdus, ensevelis au fin fond des sabliers du temps qui passe.

Les temps changent.

Les remèdes d’hier seraient-ils les maux d’aujourd’hui?

Poésie, liberté, bonheur, amour, Benohoud ose l’aspiration inspirée, regarde par sa fenêtre et s’interroge sur les contresens du monde, sur le sort d’une terre prise en main et de ses enfants modelés, sur l’impact des destins assignés.

Il questionne encore sur la possible révolte individuelle et la douceur des nobles résistances hermétiques, réfractaires au long feu de la foi dévoyée sous l’apparente tradition multiséculaire tenace et ensorceleuse des Nations.

La Nation, c’est la volonté de vivre ensemble écrivait l’idéaliste Ernest Renan.

Comment se convaincre chez chacun d’une telle communion à tout prix et du libre arbitre dans l’adhésion à celle-ci, semble répondre Benohoud.

Comment oublier le déterminisme et le fatalisme du groupe face à la plénitude de l’individu, à ses légitimes aspirations au bonheur et au choix sans contrainte ?

Comment enterrer les errements de l’histoire sous couvert d’un tel prétendu intérêt au bien-être commun imposé par quelques mentors aux concepts démentiels, délirants initiateurs de folies collectives irréversibles et de honte perpétuelle ?

Comment fuir, s’échapper des masses anonymes, dociles et prosélytes, face auxquelles il s’avérerait outrecuidant, voire coupable de ne pas rejoindre l’implacable hégémonie triomphante ?

Montrer, subir et dire sans parole pour mieux combattre de front l’indicible sans sourciller, avec patience, croyance, élégance, esthétisme et ironie, n’est-ce pas là toute l’indispensable subversion, toute l’habileté percutante, toute l’incontournable action différente et libre d’un artiste témoin à la rare lucidité éclairante, cultivé guerrier posté derrière sa meurtrière, mercenaire à la palette mitraillette et à l’objectif explosif.

Attentat de témoin muet qui en dit long, témoin mutilé à la force décuplée, témoin assiégé sans désemparer, Benohoud observe en face à face ses silences explorateurs, sans baisser les yeux, offre le corpus de sa vérité aigre-douce, dangereusement nue.

Faux Narcisse exposé universellement de chair et de sang, sans tomber dans le miroir aux alouettes, il s’offre aux vents mauvais de l’intransigeance en proie dérangeante, troublante mise en scène livrée sur l’autel des certitudes bien-pensantes.

Son regard tient courageusement tête, imperméable aux dogmes et autres idées reçues cinq sur cinq, sans autre retour possible à l’envoyeur que le doute et l’espérance.

Il scrute le rire de semblables en version soft, le provoque plastiquement pour mieux l’exorciser, déclinaison de cataplasmes superficiels sur le mal profond qui court toujours, cavalier cheval de Troyes et diversion à l’horizon des malaises.

Figures de styles contrariées, envahies, bouchées, scotchées, boursouflées, accessoirisées, polluées, l’esthétisme s’équilibre en forces stabilisées, en caractères affichés, en luttes et tensions maîtrisées sur le grain dompté d’une peau lisse, beauté imperméable aux acides pluies battantes d’une certaine critique militante, aux orages menaçants, à la foudre promise des dieux d’artifice.

Installation, vidéo, photographie, peinture, qu’importe le vecteur.

L’œil, la tête, la main, le corps entier et le talent s’activent, s’expriment et vibrent admirablement à l’unisson, tandis que la démarche demeure, s’affirme plus encore sur les chemins toujours glissants du courage, du refus de l’inacceptable et de la vérité sans concession.

Benohoud pointe du doigt l’incroyable soumission, la folle passivité, l’abrutissante mise au pas, quels qu’en soient les formes et objectifs, les menés et les meneurs, les cultures et les lieux.

Dans la classe intemporelle, malléables et soumis, les élèves s’affairent, s’exécutent sous l’oeil observateur du maître supposé bienveillant, attentif chef de file investi.

Aiguilleur arachnéen, dissident plasticien de patience, l’artiste tisse sa toile révoltée, parcourt les chemins de son fil d’Ariane dans les labyrinthes de l’existence, de la condition et de son espérée grandeur des hommes en devenir.

Inlassablement, il révèle sur papier glacé la froide intrigue, avec détermination, dans un raffinement de détails, d’authenticité et de mises en situations éloquentes.

Comment et pourquoi ferrer l’innocence, l’empaqueter, l’emballer sous vide, la mettre en rayon, têtes de gondole étiquetées, calibrées, formatées, rangées en inoffensives marchandises pour coupables industries?

Benohoud trouve la force salvatrice de s’interroger encore, d’agir à sa façon, de rire quand même et de nous interpeller puissamment sur tous les tons.

Il fige le temps, révèle la fin du film pour qu’elle ne se produise jamais, conjure le sort à coup d’artifices merveilleux, de ficelles fantastiques, d’optimistes allégories argentiques, de numéros de claquettes assourdissants, intemporels et prodigieux.

Qui aime bien châtie bien, rien ni personne n’est épargné et surtout pas l’artiste lui-même qui ouvre corporellement, impudiquement, naturellement, la voie qui s’impose à lui.

Sans ménagement, il dérange, bouscule, magnifie l’intimité, confronte les sens, étale crûment des gencives ulcérées assorties de dents humides, des membres tombants d’infâme cellulite vibrante sous la peau noire ou blanche.

Il compose, s’accommode du flétrissement, de l’affaissement, de la décomposition d’une humanité charnelle, d’êtres anonymes dissociés, ne sachant où se poser, envahis d’incongruités, d’objets quotidiens intrusifs, de mauvais coups du sort, dans un monde d’apparence qui ne prête qu’aux riches et de préférence en bonne santé.

Où est la place de l’homme, comment la trouver et la conserver dignement ?

La vie se transporte en cirque coloré, répétition lumineuse et pouilleuse à la fois, faite d’hilarités et de souffrances, de grâce et de muscles, de clowns vacillants et d’équilibristes parfaits, de chats dociles et de tigres féroces, d’acteurs et de spectateurs, de paillettes et d’excréments, de musique et de bravos.

Ce cortège là guide les pinceaux énergiques de vérité, ravive les flammes irradiantes d’audace, attise l’envie irrépressible d’en découdre, avec force et sincérité.

Il suscite la rage de rire et pleurer à la fois, ce qui est le propre de l’artiste au champ d’honneur de la guerre culturelle, réceptacle de nobles vestiges témoins pour des siècles et des siècles.

Cette identité particulière, cet état spécifique se traduit pour Benohoud en pleines farces de faces, en énigmatiques et esthétiques pieds de nez dégoulinants, en remarquables tartes à la crème sucrée salée, en saisissants contrastes.

Ses toiles imposantes se font prismes, prises de têtes de multiplications qui divisent, répétitions désabusées qui devisent dans son surréalisme sciemment dérangeant.

Ceci n’est pas un portrait qui reste de glace.

Cadrée, figée, coulée, explosée, pixelisée, la peinture vibre dans tous ses états.

Technicien poète audacieux, Hicham Benohoud use de son savoir faire, de sa sensibilité, de son expérience et de son métier.

Il raconte, bouscule, transcende, s’aventure témérairement de sa touche si particulière et immédiatement reconnaissable, faite à la fois de réalisme talentueux et d’abstraction au lyrisme rayonnant, dans un heureux mariage de raison visionnaire, de dérision lucide et de fougue instinctive, entier caractère légendaire des infatigables chevaux sauvages et rebelles de l’Orient.

Jean CORBU

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